jeudi 14 juillet 2016

Paris-Philex (7) : la philatélie, une histoire des empires et de la mondialisation ?

Les deux, mon commandant !

Une passion issue du dix-neuvième siècle européen.
Le collectionneur, le philatéliste, l'historien postal ou le curieux du contexte de tout cela lira avec attention le numéro d'été du mensuel français L'Histoire - dont le site web a changé d'adresse, intitulé XIXe siècle. Le monde est à nous ! La mondialisation à l'européenne.
Couverture du numéro été 2016 de L'Histoire en vente en kiosque jusque fin août (site de L'Histoire).
Le lecteur notera toutes les images d'Européens inventifs et ingénieux, pionniers même, et d'indigènes de tous les autres continents travaillant au profit exclusif des entreprises et des États européens et des colonies de peuplement établis par l'une des plus grandes dispersions de migrants de l'histoire humaine. Plus de cinquante millions vers les Amériques... Ça relativise bien des circulations récentes.

Le philatéliste fiscal notera un timbre fiscal états-unien sur une action de 1864 de la Keystone Zinc Company de Philadelphie, page cent quatorze dans un article sur « Comment la City [londonienne] a propulsé New York »... Les débuts de la mondialisation financière.

Pour ceux qui aiment remettre en cause leurs préjugés sur les personnages historiques ou les grands actes humains, ce même numéro interroge Louis XIV et sa puissance : son règne fut-il celui où le roi absolu contrôla la noblesse ? Ou obligé de veiller constamment sur les finances du royaume et sur une noblesse frondeuse à Versailles, par les arts et les (nombreuses) guerres, fut-ce celle-ci qui contrôla le devenir de la France, le roi ne faisant que suivre ?

Le numéro des Collections de L'Histoire de l'été est aussi décapant : la famille depuis les mythes bibliques jusqu'à nos jours, de la gestation pour autrui à Rome à l'hypothèse que la filiation constitue davantage les familles que le mariage.

Quel rapport entre cette lecture impériale et mondialisée du monde et Paris-Philex ?

L'histoire postale de la conquête européenne du monde : le cas aérien de l'Afrique.
Arrivé à ce septième article sur le championnat de France de philatélie de 2016, il reste encore à aborder l'aérophilatélie et plusieurs collections montrant les liaisons postales internationales tous azimuts au cours de la première moitié du vingtième siècle, quant les puissances coloniales croyaient en leur apogée durable.

Deux compétiteurs illustrent magnifiquement cela à travers l'établissement des compagnies aériennes à travers le continent africain : René Maréchal avec l'Imperial Airways vers l'Afrique du Sud (1925-1937) et Daniel Blanquerin avec Air Afrique vers Madagascar (1925-1939).
Les premières pages des collections de M. Maréchal (gauche) et de M. Blanquerin (droite) à Paris-Philex 2016.
La confrontation de leur première page respective permet de constater la diversité des approches et des présentations... La carte de M. Blanquerin permet de constater que le continent africain est maillé par les liaisons aériennes mises en place pendant l'entre-deux-guerres, mais aussi la concurrence entre les compagnies.

L'Imperial Airways, britannique, oblique fortement vers le sud-est de l'Europe pour connecter toutes les colonies britanniques depuis l'Égypte sous influence jusqu'au Dominion sud-africain. Air Afrique ou Transafricaine en 1928, après fusion de plusieurs lignes, établit un pont entre les colonies françaises d'Afrique et Madagascar.

Deux textes d'introduction et un plan qui suit une logique d'établissement progressif des lignes, chronologiquement plus marqué chez Blanquerin, plus géographique pour Maréchal. Bonus pour le premier : une bibliographie [présenter une bibliographie par contre...].

Au bilan des juges : quel empire bénéficiait des meilleures liaisons aériennes impériales ? Aucune idée. Grand vermeil pour la collection Air Afrique et deux points devant et prenant quatre points en quatre ans, médaille d'or et meilleure collection d'aérphilatélie pour Imperial Airways.

Pourquoi pas de photographies d'enveloppes ? J'en ai pas... Un peu fatigué en fin de parcours. Pourquoi placer l'aérophilatélie si loin dans l'exposition, après polaire et ouverte, et pas aux côtés de l'histoire postale ?

Une conquête créant des connections mondialisées alors surprenantes.
Pour l'histoire postale, économique et sociale, l'impérialisme des puissances européennes, le profitisme des grandes compagnies occidentales selon la grille de lecture ou la dispersion de migrants européens connectent des territoires aussi inattendus que les exemples que je vais piocher dans quelques collections.
Enveloppe oblitérée à Jérusalem, mandat britannique de Palestine, le vingt-neuf juillet 1940 pour Hanoï en Indochine française (collection Christian Abravanel, Paris-Philex 2016).
Un courrier entre une banque de France métropole et la Banque de l'Indochine à Hanoï, logique. Sûrement moins fréquent mais envisageable avec une banque d'une autre colonie française.

Mais, entre une banque de Jérusalem et celle de l'Indochine ?! Cette enveloppe est présentée par Christian Abravanel, webmestre du site du Cercle français philatélique d'Israël, dans Les échanges postaux entre civils en provenance et à destination de la Palestine entre 1938 et 1945, sur laquelle je reviendrai dans le prochain article sur Paris-Philex.

Sous l'enveloppe, il propose un planisphère des principales voies aériennes et maritimes intercontinentales encore disponibles à ce moment de la guerre où le Royaume-Uni est seul face à l'Axe.
Lettre de Kerguelen vers Le Havre, acheminée à Point Natal par un navire ravitailleur norvégien en mars 1912 (collection Alexis Cottineau, Paris-Philex 2016).
Changement de climat et d'époque : dans une collection d'« oblitérations maritimes sur Semeuse (1903-1941) », Alexis Cottineau de l'Amicale philatélique Nostradamus de Salon-en-Provence atteint les recoins du monde de 1912 avec cette enveloppe partie de Kerguelen, acheminée par un navire ravitailleur d'un compagnie baleinière (colonisation, mondialisation et environnement) vers l'Afrique du Sud pour une remise dans les circuits postaux maritimes. En trois semaines, elle est arrivée à destination au Havre.

Mais un « monde européen » éphémère voire pas conformes aux préjugés coloniaux.
En se plaçant dans l'entre-deux-guerres, la majorité des collections se situe déjà à la fin de ces empires coloniaux : à entendre clamer qu'ils sont envahis pour être « civilisés », des indigènes qui ont suivi le chemin de la « civilisation » réclament les droits qui vont avec les nombreux devoirs qu'ils leur ont été imposés, non sans violence.
Lettre portant une Marianne de Decaris illégalement surchargée « Algérie française 23 avril 1961 » (collection Égon Habé, Paris-Philex 2016).
Bien évidemment, la collection grand vermeil de l'Alsacien Égon Habé illustre ce thème de la fin des empires avec, en philatélie moderne, « la Marianne de Decaris surchargée EA » par les autorités algériennes indépendantes entre juillet 1962 et janvier 1963.

En amont, il présente des surcharges des partisans de l'« Algérie française » (mais était-il pour l'application de toutes les valeurs de la République à toute la population ?) dans le contexte du Putsch des généraux d'avril 1961 ou des actions de l'Organisation de l'armée secrète à destination des élus de métropole.

Comment les empires coloniaux ont-ils pu finir si mal ? Exploitation contre « civilisation », racisme contre valeurs, etc. Sûrement aussi préjugés et complexe de supériorité face aux cultures indigènes jugées si pittoresques... Soupir.
Lettre de Rhodes italienne pour Téhéran en mai 1933 (collection René Maréchal, Paris-Philex 2016).
Merci à René Maréchal de fournir un formidable document de la diversité humaine, dans la seconde collection qu'il présentait, « La poste aérienne en mer Égée (1929-1947) ». Pourquoi cette zone si précise ? Elle est une escale possible sur la route entre l'Europe et le Proche-Orient - un autre courrier montre les liaisons aériennes entre pays baltes et Pologne d'une part, et la Palestine d'autre part via la mer Égée.

Ensuite, car Rhodes et les autres îles du Dodécanèse sont sous contrôle italien, alors que Mussolini veut faire de l'Italie une grande puissance, ce qui passe par l'aviation sur le modèle impérial britannique et français (voir plus haut).

Maintenant, suivons grâce à M. Maréchal cette enveloppe dont le verso timbré était présenté au visiteur de Paris-Philex et le scan du recto en-dessous. Elle est expédiée de Rhodes par un dénommé Albert Israel le onze mai 1933. Elle est déposée le lendemain à Athènes (oblitération à gauche des timbres) par Aero Espresso Italiana. Quatre jours après, Imperial Airways l'emporte d'escale en escale jusqu'à Bagdad (oblitération à droite des timbres). Là, c'est une compagnie allemande, Junkers Luftverkehr Persien, l'amène à Téhéran le vingt-et-un.

Adresse transcrite en farsi et lettre parvenue à David Israël à l'École Alliance israélite universelle, institution internationale créée en France en 1860 - fondation commémorée en France par un timbre en 2010. Le courrier passe donc, d'entreprises concurrentes en entreprises, et dont les pays d'origine sont difficilement amis selon les paires constituées ; pour permettre la correspondance entre deux personnes de confession juive, dont une vivait dans un pays à majorité chiite qui, même devenu République islamique en 1979, assure une représentation politique minimale même si avec suspicion.

L'article de Wikipédia signale comment l'Alliance israélite universelle ouvrit des écoles avec le soutien des autorités perses au tournant du vingtième siècle et qui connurent une certaine popularité auprès des élites musulmanes... Peut-être car elles furent davantage françaises au départ qu'israélites et persanes par la suite ?

Une diversité postale pour une histoire de rencontres humaines variées, au-delà des intérêts géopolitiques ou commerciaux. Très beau souvenir qu'est cette enveloppe dans une collection grand vermeil et prix spécial du jury qui rejoint le long palmarès aérophilatélique de M. Maréchal depuis 1995.

À suivre...
Encore un article sur les collections de Paris-Philex : comment la Seconde Guerre mondiale inspire les collectionneurs.

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