vendredi 12 février 2016

Le facteur français, punching ball de la libérale Cour des comptes ?

Hier jeudi onze février 2016, les médias français ont vagi dans leur marigot grâce à la Cour des comptes - dont une émission de timbres provoqua une fièvre spéculative en 2007 : elle avait trouvé une preuve permettant de taper sur les facteurs.

Dans son rapport public annuel, un dossier est consacré aux « postiers face au défi de la baisse du courrier : des mutations à accélérer », téléchargeable au format pdf.

Les journalistes se sont jetés sur la pratique du « fini - parti », ses risques sur la qualité du service rendu et ses dangers pour le postier et les autres usagers de la voirie... et suscitant la suspicion sur l'ensemble de la profession.
Alan Johnson débuta dans les beaux quartiers de Londres avant de poursuivre sa carrière dans un quartier populaire où il avait déménagé (disponible à la boutique de The Postal Museum, le nouveau musée postal à Londres).
Les contre-exemples pulullent : ma factrice passe vers midi et demi toute la semaine, midi le samedi. Avec le deuxième tome de son autobiographie, Please Mr. Postman, Alan Johnson, ancien dirigeant syndical britannique qui fut ministre de l'Intérieur, montre l'inefficacité du « fini - parti », voire, dans la logique de la Cour des comptes, sa haute nécessité :)

Orphelin, marié à dix-huit ans, immédiatement en charge d'une famille de deux enfants, Alan Johnson entra au Post Office par défaut en 1968, espérant toujours une grande carrière avec un groupe de rock ou d'écrivain. Jeune au milieu d'anciens vétérans, le représentant syndical lui fait rapidement comprendre pourquoi, même s'il bénéficie une semaine d'une tournée courte, il ne doit pas revenir avant l'heure prévue au bureau... ni être en retard.

La Cour des comptes reconnaîtra là un moyen commode d'accroître la productivité des facteurs : laisser faire le « fini - parti » et réformer le parcours des tournées en conséquence. À terme, tous les facteurs finiront à l'heure prévue en ayant réalisé les plus longues et productives tournées possible.


Sauf que...

La lecture de la presse quotidienne régionale permet d'avoir une autre ambiance dans les bureaux de distribution. Deux exemples hérautlais ont pu être cités sur ce blog : tournées trop longues à heures supplémentaires non payées comme le rappelle hier Olivier Besancenot sur Europe 1, le non-remplacement des collègues malades, le manque de véhicules ou la non-adaptation au permis possédé par le postier. Les supérieurs locaux faisant sêrement avec les moyens du bord : mais cela incite à penser que les postiers ne sont pas vraiment la cause des aléas.

Au niveau national, le reportage d'Envoyé spécial de France 2 le jeudi dix-sept décembre dernier sur les entreprises sous-traitant la livraison des colis au nom de La Poste et de ses multiples filiales colis... Ces « petites mains » sont-elles responsables des colis entrés de force dans les boîtes ? Des avis de passage remplis d'avance pour éviter de perdre les minutes - au risque de pénalité de retard - nécessaire à trouver le destinataire dans un immeuble ?

Les plus mesquins - voire les révolutionnaires d'Europe 1 et leurs liens « sur le même sujet » - rappelleront que quarante-sept pour cent du résultat net de La Poste en 2007 provient du Crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE)... Ce crédit a-t-il vraiment servi à embaucher ou à payer mieux les postiers, voire les sous-traitants ?

Enfin, pour suivre les politiques Cohesio et Releveo du groupe La Poste (voire Permideconduito) je trouve très sévères et immérités le titre du rapport de la Cour des comptes et la lecture - très sûrement partielle et partiale - de ce rapport par les journaleux hier.

Les mutations imposées par l'employeur me semblent réalisées avec des facteurs qui viennent, au profit de leur employeur, vérifier la bonne santé de personnes isolées à la demande des communes-clientes, aider à installer un adaptateur TNT-HD, relever les compteurs électriques et constater des dégâts des eaux pour des assureurs,... avec des interrogations certes, mais dans la lignée de l'image du facteur du quartier ou du village.


J'attends donc le prochain rapport titré « Le groupe La Poste face au bien-être de ses salariés et de ses sous-traitants » afin d'être sûr qu'on ne passe pas d'un extrême à un autre dans les clichés. Sinon que les auditeurs de la Cour des comptes proposent aux postiers un numéro de Vis ma vie à TF1 : les usagers constateront si la productivité de La Poste aura augmenté en une semaine.


Mise à jour du lundi quinze février 2016 :
Il faut aller sur la partie économique du site lefigaro.fr pour trouver une journaliste qui a lu le rapport de la Cour des comptes. Le mercredi dix, Mathilde Visseyrias permet de comprendre que c'est la direction de La Poste et son actionnaire (l'État, donc vous et moi) qui sont alertés : les nouvelles activités sociales suffiront-elles ? La Cour doute.

Les solutions proposées par les auditeurs seront dures pour les postiers tout de même, mais signalent qu'ils maîtrisent leur sujet : pourquoi chaque entreprise du groupe envoie chacune son employé dans les mêmes rues ? Au lieu de stresser les facteurs qui finissent par déposer des avis de passage sans sonner, pourquoi ne pas signaler le courrier recommandé ou suivi en amont du premier passage et laisser le destinataire choisir comment, quand et où le récupérer selon son emploi du temps : internet et le téléphone mobile pour de vrai ?

Enfin, face au « théorème du timbre-poste », théorisé par Martial You de RTL, l'actionnaire-Nation est rappelé à redéfinir le service universel pour faire baisser les coûts : nombre de jours, regroupement des boîtes aux lettres... Vu l'ambiance canadienne sur ce dernier sujet, le débat public sera houleux.

Je comprend mieux pourquoi les autres médias ont fait dans le postier-bashing... Trop compliqué de faire comprendre le reste aux citoyens ?

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